La médiation socio-culturelle au temps de la covid-19

Dès le mois de mai 2020, à la fin du premier confinement qui a été imposé partout en France en raison de la crise sanitaire, notre équipe a été amenée à réaliser des enquêtes auprès d’un certain nombre d’acteurs qui avaient soutenu les personnes en difficulté durant cette période.

A cette occasion, nous avons rencontré des travailleurs sociaux qui avaient aidé directement des personnes accueillies dans des structures d’hébergement d’urgence mais aussi des personnes restées à la rue[1]. Lors de ces entretiens, nous avons pu constater de quelle manière les pratiques de ces professionnels avaient pu évoluer par rapport au cadre habituel de leur intervention, mais aussi ce qu’étaient les besoins d’une frange nouvelle de leurs publics composée de personnes affectées par cet « arrêt sur image » qu’a constitué le cantonnement chez soi, la limitation de l’activité professionnelle et la suspension de toute vie sociale et collective. Par ailleurs, divers événements et une certaine agitation médiatique nous ont alerté sur ce qui avait pu se passer, durant cette parenthèse, dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville. En effet, à coté de gestes de solidarité et d’images d’un non-respect du confinement, certaines informations[2] indiquaient qu’un nombre non négligeable de personnes vivant dans ces territoires peinait à survivre en raison de leur précarité mais aussi de leur isolement et de leur surexposition au virus.

Pour entrer en contact avec cette population et avec les acteurs de terrain qui pouvaient la connaitre, nous nous sommes tournés vers Bénédicte Madelin, Présidente de France Médiation mais aussi ancienne Directrice de Profession Banlieue. Celle-ci nous a orienté vers l’association « Interm’Aide » qui emploie des médiatrices à Creil. Pour nous donner à voir ce qu’avait recouvert la crise sanitaire sur ce secteur et ce qu’avaient été les problèmes rencontrés par les professionnelles de cette association, elle nous a communiqué le journal de bord qu’avaient tenu celles-ci durant les 10 semaines du premier confinement.

C’est ce document, principalement, que nous proposons à l’attention des lecteurs de ce numéro de Recherche sociale. Ces comptes rendus rédigés « à chaud » et destinés à un usage interne à l’origine, nous ont paru particulièrement intéressants et dignes d’être diffusés et ce, pour plusieurs raisons.

Premièrement, le récit des journées de ces professionnelles met au jour la manière dont la crise sanitaire est venue renforcer l’exclusion de certaines personnes qui, subitement, avec le confinement, ont rencontré de nouvelles entraves à leur vie quotidienne.

Deuxièmement, ce journal de bord composé de comptes rendus rédigés quotidiennement nous donne un aperçu de la manière dont les médiatrices ont su adapter leurs pratiques aux contraintes du moment comme ont pu le faire aussi certains travailleurs sociaux qui agissaient pour des institutions.

Enfin, la publication de ce texte trouve aussi sa pertinence dans le fait qu’il prolonge deux autres ensembles de textes que nous avons publiés récemment : « Tout un monde de misère » (Recherche sociale n°220 – Hiver 2016) et « Paroles de précaires » (Recherche sociale n°230 – Printemps 2019). Avec ce journal d’un confinement, nous poursuivons en effet une démarche consistant à évoquer et à décrire les « figures de la précarité » sans le filtre du discours et de l’interprétation sociologique, en donnant à voir un matériau brut pour laisser aux lecteurs le soin de se l’approprier et en faire leur propre interprétation.

Pour compléter la lecture du journal de bord et de manière à rendre explicite ce qui s’est joué pour les médiatrices d’Interm’Aide et les personnes qui les ont sollicitées à l’occasion de la crise sanitaire, nous avons demandé à Bénédicte Madelin de nous retracer, dans un entretien, l’histoire de cette association ainsi que celle du métier de médiatrice. Par ailleurs, ce numéro consacré à la médiation sociale se refermera sur un « contrepoint » d’Alain Vulbeau qui souligne l’investissement des médiatrices dans le champ du travail social, tant par leur rôle de liaison quotidienne entre habitants et institutions que par la mise à l’écrit de leurs pratiques professionnelles. Une reconnaissance à la hauteur des compétences déployées et du soutien apporté aux individus fragilisés par le confinement.

Didier Vanoni

FORS-Recherche sociale

 

[1] Cf. Fondation Abbé-Pierre, L’état du mal-logement en France, 2021.

[2] Citons par exemple le rapport 2020 de l’Observatoire national de la politique de la ville.

 

Retrouvez ce numéro sur Cairn.