Le choix de la longue durée pour analyser les effets quantifiables de l’action publique est suffisamment rare pour être apprécié à sa juste mesure. Il faut donc saluer l’appel à recherches lancé par le Commissariat général à l’égalité des territoires qui consistait à analyser le devenir des quartiers Habitat et Vie Sociale en mettant l’accent sur la diversité des trajectoires de 1977 à nos jours.
La procédure Habitat et Vie sociale constitue un moment quelque peu oublié de la politique de la ville. Lancée à titre expérimental en 1973 par le directeur de la Construction du ministère de l’Équipement Robert Lion, la procédure a été institutionnalisée en 1977 par une circulaire ministérielle. Il s’agissait alors de contribuer à l’amélioration du cadre de vie dans les grands ensembles qui, à l’époque, avaient à peine une décennie d’existence. Dans certains cas, il s’agissait même d’achever les programmations prévues dans les plans d’origine. Si on peut considérer que la procédure Habitat et Vie Sociale constitue bel et bien le fondement de la politique de la ville, c’est qu’elle s’appuie sur deux leviers essentiels : l’amélioration du cadre bâti d’une part, le soutien au développement de la vie sociale d’autre part. Concernant la mise en œuvre, on retrouve également les éléments constitutifs de la politique de la ville. À savoir la préparation du dossier par les collectivités locales dédiées, la ville en premier lieu, et par la recherche d’un partenariat avec les différents acteurs mobilisables en vue de la pleine réussite de l’opération. Enfin, il est à noter que dès l’invention de cette procédure d’action publique, il a été fait le choix de mettre en avant la nécessité de prise en compte de l’avis des habitants. Le directeur de la Construction le dit explicitement lors du colloque de synthèse de février 1973 : « La place et le rôle des usagers dans la gestion de leur cadre de vie constitue aujourd’hui un des problèmes essentiels du logement, un problème beaucoup plus important sans doute que les objectifs quantitatifs de la construction ».
La réalisation d’un tel travail doit donc permettre de disposer de buttes-témoins susceptibles d’éclairer la décision publique, mais plus largement de rendre compte des grandes évolutions de notre société urbaine à la fin du XXème siècle et au début du XXIème siècle. L’approche des vingt ans de l’ANRU pourrait conduire à se livrer à un exercice du même type mais centré autour des impacts de la rénovation urbaine durant les deux dernières décennies.
Dès lors, partir de la procédure Habitat et Vie sociale et non de la période suivante marquée par l’action de la Commission nationale pour le développement social des quartiers, ou même du second âge de la politique de la ville avec la création de la Délégation interministérielle à la ville en 1988 et celle du ministère de la ville deux ans plus tard, permet d’établir une réelle coupe longitudinale au sein d’une politique publique qui ne se distingue pas forcément par sa facilité d’appréhension. Les résultats de l’étude permettent dès lors de mieux comprendre les oscillations de la politique de la ville en fonction de l’évolution de la conjoncture nationale, mais aussi des singularités des sites, comme le montrent les études de terrain qui ont été réalisées. Qu’il s’agisse des problématiques sociales, de la gouvernance ou encore de la participation des habitants, on dispose désormais d’un matériau qui devrait contribuer utilement à l’amélioration de l’usage que l’on fait de la politique de la ville.
Il est donc heureux que FORS-Recherche Sociale ait décidé de publier le résultat complet de cette étude. Il était d’ailleurs logique que FORS ait été désigné pour mener à bien ce travail. Bureau d’études créé en 1965, son fondateur, Henri Théry, a été parmi les principaux accompagnateurs des politiques d’animation sociale mises en œuvre dans les grands ensembles durant les années 1960. C’est également FORS qui a été choisi en 1973 pour piloter, du point de vue méthodologique, la mise en œuvre de la procédure Habitat et Vie sociale. Depuis, ce bureau d’études n’a jamais cessé de s’intéresser à l’évolution de la politique de la ville, tant par les recherches de terrain qui lui ont été confiées que par le soutien à différentes actions de recherches liées de près ou de loin à l’histoire de la politique de la ville. Par ailleurs, il se constitue en 2022 un Comité d’histoire de la politique de la ville chargé, lui aussi, d’étudier sur la longue durée les effets des politiques en charge de la transformation de la ville ordinaire à la fin des Trente glorieuses. Il s’agit en effet de restituer tout le sens qui est porté par les pouvoirs publics au travers de son action auprès des quartiers populaires. Ce n’est que par la compréhension partagée que l’on parviendra à lui donner la pleine mesure de son efficience. La politique de la ville a désormais un demi-siècle d’existence. Son histoire reste dans une large mesure à écrire. Cette étude en constitue à n’en pas douter un maillon important. Espérons que d’autres de ce type suivront très bientôt !
Thibault Tellier, Professeur des Universités, Sciences Po Rennes
