La mise en oeuvre du droit au logement opposable (DALO). Un droit à l’épreuve des représentations et des préjugés

Avec la promulgation, le 5 mars 2007, de la loi sur le Droit Au Logement Opposable (DALO), l’État s’est donné comme obligation de mettre en place les moyens nécessaires à l’application du droit au logement. Rappelons que la loi rend éligibles à ce droit les personnes à la rue, menacées d’expulsion sans relogement, hébergées temporairement, occupant un logement insalubre, ou un logement indécent ou suroccupé avec une personne handicapée, ou bien étant en attente d’un logement social depuis un délai anormalement long (ce délai varie selon le département, 6 mois dans l’Aube, 24 mois dans le Bas-Rhin, 36 mois en Seine-Saint-Denis, 10 ans à Paris pour les logements au-delà du T3…).

Ces ménages peuvent saisir la commission de médiation de leur département pour déposer un recours et faire valoir leur droit. Si le recours est accepté, l’Etat a ensuite trois ou six mois selon les départements pour leur proposer un logement. Les ménages se sont saisis de cette avancée importante du droit : début 2016, environ 100 000 recours avaient été déposés devant les commissions de médiation depuis le 1er janvier 2008[1].

Malgré l’obligation de résultats, les bilans annuels du DALO font état de résultats inégaux sur le territoire national. En février 2016, 31,4% des ménages déclarés prioritaires et urgents restaient à reloger, soit 58 183 ménages[2]. Et l’immense majorité des ménages restant à reloger se concentre dans quelques départements, tout particulièrement en Ile-de-France et en PACA.

Une série de travaux a déjà permis d’avancer dans l’analyse de ces performances inégales. L’essentiel des disparités régionales s’explique par la tension locative très forte sur les territoires, avec une pénurie de logements accessibles aux ménages modestes. Mais pas uniquement : ainsi, la région Rhône-Alpes, troisième région en nombre de demandeurs prioritaires et urgents a relogé près de 90% d’entre eux depuis la mise en œuvre de la loi. D’autres causes sont clairement mises en évidence, dont la sous-mobilisation de certains contingents de logements sociaux.

Relayant notamment les témoignages d’acteurs associatifs et travailleurs sociaux qui accompagnent les ménages, plusieurs rapports signalent l’existence de préjugés et stéréotypes négatifs. Ces acteurs évoquent régulièrement la stigmatisation dont font l’objet les ménages désormais appelés les « DALO », et soulignent que la catégorisation « DALO» pourrait paradoxalement contribuer à freiner la mise en œuvre de l’accès réel au droit qui leur est reconnu, voire que la stigmatisation dont ils font l’objet pourrait donner lieu à des pratiques discriminatoires.

L’étude présentée dans ce numéro de Recherche sociale a été réalisée suite à une commande de la Direction de l’Habitat, de l’Urbanisme et des Paysages (DHUP) du Ministère du Logement, de l’Egalité des Territoires et de la Ruralité, et du Comité de suivi de la mise en œuvre du DALO : ils ont souhaité disposer d’une étude nationale permettant d’identifier les raisons du non-relogement des ménages DALO dans les délais légaux, de disposer d’une compréhension des processus conduisant à la production de préjugés à l’égard des ménages et de recommandations pour aider à les prévenir. Les investigations ont été menées entre juin 2014 et février 2015 par le CREDOC et FORS-Recherche sociale, qui s’étaient associés pour l’occasion, le rapport final ayant été livré en mai 2015. Celui-ci a fait l’objet de plusieurs restitutions orales pendant les mois qui ont suivi.

Cette étude comporte une analyse statistique inédite, portant sur l’ensemble des demandeurs de logement social de l’année 2013, et permettant de comparer les demandeurs reconnus prioritaires et urgents au titre du DALO aux autres demandeurs. Cette analyse d’envergure, qui a traité plus de 2,2 millions de demandes, montre que les demandeurs « DALO » présentent un profil significativement différent de celui des autres demandeurs : ils sont globalement plus jeunes, plus souvent des familles nombreuses et de nationalité étrangère. Ils sont proportionnellement plus nombreux à déclarer des revenus faibles, sont plus souvent bénéficiaires du RSA et dépourvus de logement. Par ailleurs, ils ont plus de mal à entrer dans le logement social : en moyenne, entre leur première demande et leur relogement dans le parc social, il faut compter près de trois ans et demi, contre 13 mois pour les autres demandeurs.

Pour autant, il existe bien un effet « DALO », favorable aux demandeurs : 34% des « ménages DALO » ont été relogés dans le parc social sur la période observée (janvier 2013 – juin 2014), soit plus que les autres demandeurs pour lesquels le taux de relogement est de 27%. Et surtout, à partir du moment où la reconnaissance du droit est accordée, les chances des « ménages DALO » d’être relogés dans le parc social deviennent proches, voire même meilleures, que celles des autres demandeurs.

De manière complémentaire, l’approche qualitative par entretiens permet d’aller plus loin dans la compréhension des processus conduisant à la création de préjugés et stéréotypes, relatifs aussi bien aux ménages reconnus prioritaires qu’à la loi elle-même : nos investigations montrent à quel point, même pour les acteurs les plus volontaires dans la mise en œuvre de ce droit, celle-ci reste profondément sujette à critique et encore mal légitimée.

Pour autant, il ne s’agit pas de faire un lien systématique entre l’existence de ces représentations négatives et l’existence de pratiques discriminatoires. L’enquête souligne certes une certaine banalisation des représentations et préjugés à l’égard des ménages DALO : l’anticipation des risques que ces ménages, ou la majorité d’entre eux, peuvent faire courir en matière de gestion locative et d’équilibre du peuplement, est intériorisée par la plupart des acteurs rencontrés, bien au-delà du monde HLM. Mais l’enquête sur les pratiques montre avant tout que la mise en œuvre du droit au logement opposable ne peut s’analyser sans prendre en compte le contexte du marché du logement, d’une part, et le mode de structuration du système d’acteurs, d’autre part. Nos investigations confirment cependant un constat déjà mis en évidence par d’autres : la mise en œuvre du droit souffre, dans ce cas précis, de très nombreuses inégalités de traitement, à l’échelle du territoire national, comme aux échelles locales, dans la mesure où, selon les systèmes d’acteurs en place, des demandes de relogement relativement similaires ne reçoivent pas la même réponse.

La version que nous vous proposons reprend l’essentiel du rapport remis à nos commanditaires. Cependant, pour des questions relatives à la maquette de Recherche sociale, certains éléments ont été retirés, en particulier la cartographie et l’ensemble des annexes avec les résultats de l’enquête statistique à l’échelle régionale. La partie de préconisations opérationnelles a été très largement synthétisée, et quelques reformulations mineures ont été apportées, dans un but de simplification. Malgré ces retraits, nous restons convaincues de l’intérêt des apports de cette étude originale, qui apporte un éclairage nouveau et approfondi sur la mise en œuvre du droit au logement.

Nous remercions la DHUP et le Comité de suivi de la mise en œuvre du DALO, qui ont eu l’initiative d’engager ce travail, ainsi que tous les acteurs, services de l’Etat, collectivités territoriales, organismes de logement social, associations…, qui ont accepté de répondre à nos interrogations. Nous espérons que cette étude pourra contribuer à une meilleure compréhension, si ce n’est à une amélioration, des conditions de mise en œuvre du Droit au Logement Opposable.

Anne Sauvayre (FORS-Recherche sociale) et Isabelle Van de Walle (Crédoc)

[1] A ce chiffre peuvent être ajoutés les 10 277 recours pour le Droit à l’Hébergement Opposable comptabilisés entre le 1er janvier 2008 et le 16 février 2016Cf. Ministère de l’Egalité des Territoires et du Logement, Mise en œuvre du droit au logement opposable, Point sur les chiffres de l’année 2015, 1er mars 2016,

http://www.hclpd.gouv.fr/IMG/pdf/20160301_Ppt_cosui_DALO.pdf.

[2] Id.