L’action sociale face aux publics précaires « invisibles » (II)

On compte en France actuellement environ 145 000 enfants placés. Si nous considérons la famille élargie -grands-parents, oncle et tantes, cousins, etc.- , l’entourage des enfants placés doit avoisiner 300 000 personnes. Que savons-nous de cette population ? Comment le placement est vécu par ces familles ? Ont-elles le sentiment d’être socialement invisibles ? Pour tenter de répondre à ces questions, après avoir réalisé une synthèse documentaire approfondie, nous avons rencontré une dizaine de membres de cet entourage familial, essentiellement les détenteurs de l’autorité parentale dans cinq départements répartis sur tout le territoire.

Si le profil sociologique du corpus des personnes rencontrées vérifie à nouveau leur appartenance aux couches sociales les plus défavorisées de notre pays – mêmes si elles n’en sont pas systématiquement issues et qu’elles ont connu un déclassement social – c’est une lecture psychologique de leurs difficultés qui semblent privilégiée par les agents de la protection de l’enfance. L’analyse croisée des récits biographiques recueillis met en lumière plusieurs éléments : le placement d’un enfant s’inscrit très souvent dans une trajectoire de vie tragique, ponctuée de difficultés de diverses ordres, économiques, relationnelles, de santé, etc., qui se cumulent. Le placement de l’enfant constitue souvent un point d’orgue qui renforce un fort sentiment de déconsidération sociale. Le fonctionnement du système de protection de l’enfance, centré sur la préservation de « l’intérêt supérieur de l’enfant », contribue à une forme de marginalisation des familles qui ont le sentiment de n’être pas réellement associées au projet éducatif de leur enfant, contrairement aux directives de la loi du 5 mars 2007. Face à une institution qu’elles jugent surplombante, elles rencontrent des difficultés à être actrices du placement de leur enfant, même si elles reconnaissent aussi développer parfois des relations interpersonnelles constructives avec certains agents.

En conclusion, l’invisibilité sociale des personnes constituant l’entourage des enfants placés ne semble pas finalement être, pour elles, un problème majeur. Plus que d’être visibles, les personnes rencontrées expriment le souhait d’être écoutées, que leurs points de vue soient pris en compte. Bref, elles demandent à être reconnues. Paradoxalement, être reconnu consiste aussi à revendiquer droit au respect à l’intimité, c’est-à-dire à une certaine forme d’invisibilité. C’est plus précisément un sentiment d’inaudibilité qu’elles déplorent et elles demandent avant tout à ce que leurs droits soient respectés.

Régis Sécher

Docteur en sciences de l’éducation

Directeur du service de la formation à l’ARIFTS